lundi 23 février 2015

Des jours avec ...

Le visage sale, les yeux dans le vent, je regarde s'éloigner les gens ; les gens qui ont l'air toujours heureux, toujours contents, jamais en-dedans. Où est mon cimetière, où sont mes vers, ma belle assurance et mon jardin hanté qui me protégeaient de tout ? Je feins d'ignorer ce qu'avant j'embrassais, et je ne sais pas pourquoi, pourquoi je suis devenue comme ça. D'abord la tête sans corps, à droite dans le mien, attachée à tout, dentées de quenottes de lait, que j'aurais pu laisser me dévorer. J'aurais pu renoncer. Et le corps … le corps avec sa tête, ses jambes, ses bras, ses racines et ses branches tournées vers le bas. L'homme dans la femme que je fus, peut-être seulement, à ce moment-là. J'aurais pu renoncer à tout ça, la chaleur, le confort, le foyer ouaté d'où j'observe un monde qui ne me regarde plus. Voilà, vieillir c'est ça, tuer et enterrer ce que l'on croyait être, réaliser que nous ne sommes qu'un lâche de plus sur une terre qui les fait comme des pommes un pommier. Les rides sèches aux coins des yeux, les yeux tombants qui contemplent un nombril flasque. Où est le beau, où est le vrai ? Où est cette vie de chair et de sang que je croyais pouvoir dévorer ? Le fracassant déluge de rien s'abat, chaque jour, sur ma tête qui se fane
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mercredi 24 septembre 2014

7 ...







S'il reste encore quelqu'un qui visite ce blog presqu'abandonné, je signale mon compte instagram (l'application des artistes du dimanche comme moi qui ne prennent même plus la peine de faire de vraies photos, la preuve ...) : http://instagram.com/ohsimetaire
Qui que vous soyez ... memento mori.

vendredi 6 décembre 2013

Le petit cimetière étrange de Cumberbach

Connaissez-vous le charmant petit village de Cumberbach ? Niché dans les hauteurs de la ville de Shmoll, à quelques kilomètres à peine de la commune de la Butte, qui a vu naître le grand écrivain Phillibert Sauvenargue de la Butte ? Non ? C'est bien dommage. Mais si vous en avez l'occasion, un de ces jours, n'hésitez pas à aller y faire un tour, vous y trouverez un charmant belvédère qui domine toute la vallée shmollienne, une adorable placette où se tient tous les samedis matins, dans le poudroiement frais des platanes, une brocante-vide-grenier-braderie-loto-bingo-kermesse, et non loin de là la chapelle de Notre-Dame-du-Caillou dont les premières pierres furent posées il y a au moins un siècle, si ce n'est deux. Et puis bien sûr, derrière l'église, légèrement en contrebas, le petit cimetière, le fameux petit cimetière de Cumberbach.
Pourquoi fameux me demanderez-vous ? Et bien jugez plutôt : il y a des années, un siècle peut-être, voire même deux, on raconte que le maire du village perdit le même jour son épouse adorée et sa petite fille encore plus adorée dans un atroce accident de train (ou était-ce de cheval ? Enfin quelque chose qui circulait en ce temps-là ...), et, qu'inconsolable, il supplia le prêtre de lui permettre de garder près de lui, à porter de mains et de baisers, les corps de ses deux petites chéries. Bien sûr l'homme d'église refusa, vous n'y pensez pas ! Priver la chair de votre chair de la terre sainte, risquer leur âme au moment du Jugement Dernier, encourir la colère divine et le châtiment divin, sans parler de la puanteur des cadavres en décomposition bon sang de bois !!
Mais le maire pleurnicha, chouina, supplia, se roula dans la poussière et dans sa propre morve les mains jointes en prière, sous l'embarras grandissant du Père Mornecroix (c'était le nom du prêtre), : "juste leurs têtes ! Leurs têtes mignonnes ! Leurs têtes adorables ! Une main ! Juste une main ! Une main douce et toute dodue ... un doigt ! Un petit doigt mutin à serrer près de moi ! Je vous en supplie, un lobe d'oreille, un téton !!". Mornecroix pesta : "il suffit !", et Monsieur Millemule (c'était le nom du maire) changea trois fois de couleur avant de traverser l'adorable placette en vociférant, crachant, pestant, pour finir par s'enfermer à triple tour et moultes planchettes en bois avec les corps déjà bien roides et bien froids de ses deux trésors. Il jura à travers la cloison que nul ne les lui prendrait, foi de Millemule !
Bien vite, ceux qui n'eurent pas vent de la rumeur en humèrent l'odeur, et tout le village se partagea entre consternation et apitoiement pour ce pauvre Monsieur Millemule qui cajolait ses mortes puantes toute la sainte journée. Les villageois pour la plupart désertèrent le camp de Dieu pour celui de la charité humaine, car les plus jeunes s'imaginaient, et les plus vieux se souvenaient, de la douleur que cela était de perdre un être cher. Car la mise en terre était dans les cœurs comme une seconde mort, celle qui disait : "chaude ou froide, flasque ou raidie, plus jamais tu ne toucheras de cette peau, de ces cheveux, tu ne serreras dans tes bras que ton propre corps dans le souvenir tiédasse de celui qu'il fut". Alors les villageois à leur tour supplièrent le Père Mornecroix de se montrer clément, malgré quelques voix qui s'élevèrent au sujet de l'odeur qui dans le village devenait insoutenable, et une poignée d'imbéciles qui évoquèrent la possibilité de forcer la maison du maire et de le faire interner de force à Louison Goulague, l'hôpital psychiatrique le plus proche.
Inquiet de voir son église déjà bien petite et bien pauvrette se vider de ses ouailles, le Père Mornecroix n'eut d'autre choix que de céder à la vindicte en proposant  ce qui lui était venu la veille, dans son bain de siège, comme une épiphanie : enterrer femme et enfant Millemule au cimetière, dans la plus pure et la plus grande tradition chrétienne, MAIS n'envelopper le corps que d'un linceul blanc - comme cela se faisait en des temps immémoriaux - et laisser dépasser de la terre un membre choisi par le veuf éploré : qui une main, qui une touffe de cheveux ... qui, si elles se décomposeraient bien à leur tour, auraient au moins le mérite de laisser les Cumbibi (c'est ainsi que l'on nomme les habitants de Cumberbach) respirer un air moins frelaté, et au maire de venir se consoler de la perte de l'être chair en s'y frottant à son envi.
Le village exulta. L'idée était brillante, le maire ravi, le prêtre soulagé, et l'enterrement de Madame Millemule et de la petite Millemule fut une grande réussite et une immense satisfaction pour le village et pour Monsieur Millemule, qui choisit de conserver en trait d'union entre le monde vivant et celui de la terre le petit pied mutin de son épouse (le gauche) et le petit genou cagneux (mais lui aussi mutin) de son adorable fille.
Il fut juste une poignée d'imbéciles pour s'interroger sur les chiens, et les corbeaux, et autres crétineries qui occupaient si facilement les esprits secs et étriqués.
Dans le doute, on abattit quand même les chiens, et on fit construire aux élèves de l'école Lucille Tirlipon quelques épouvantails à planter ci ou là dans le cimetière, sous le prétexte bienheureux de l'éveil aux joies des travaux manuels, ou, pour certains, de la fête des mères.
Le maire fit des émules. Bientôt, il n'y eut pas une seule veuve éplorée au village qui ne voulut pas que la main ou la calotte de son mari ne dépassa du terreau (il fallut alors enterrer le pauvre bougre à la verticale, cependant que Mornecroix s'évertuait à regarder ailleurs en priant pour le salut de son âme). Pas une seule mère qui ne se griffait le visage en suppliant qu'on laisse émerger de terre la pogne rondouillarde de sa petite morte-née. Certains habitants de Shmoll ayant entendu parler du cimetière vinrent à leur tour quémander qu'on y laissa enterrer l'oncle bedonnant - dont on laisserait dépasser la bedaine -, la grand-mère mélomane - dont on tenterait péniblement de dégager une oreille - le vieux courtisan de la maison de retraite, pour qui on supplia une fois encore Mornecroix de rajouter une exception à l'exception ...
Les tombes de terre croissaient et multipliaient, chassant les concessions de marbre qui furent démolies avec l'approbation de tous - on n'avait jamais aimé ce vieux corniaud ni cette grande salope de Marthe de toute façon - les épouvantails qui avaient le même charmant visage que dans les dessins d'enfants poussaient, se tendaient glorieusement vers le ciel avant de s'avachir pitoyablement au pied d'une main, ou à la tête d'un pied, certains devenus squelettes - vieilles branches d'arbres humains rabougries - d'autres encore pourvus de lambeaux de chair qui faisait la joie et le bonheur des familles le dimanche : "regarde, il a encore la peau de son majeur ! Ce Marius, il nous fera toujours rire !". Le dimanche, et les autres jours d'ailleurs, on assistait toujours au même spectacle : celui d'enfants amusés, de vieux attendris, de jeunes amantes inconsolables, qui se frottaient, se frictionnaient, se bisouillaient des morceaux de leurs chers disparus restés encore, le temps d'une poignée de main ou d'une caresse interdite, parmi eux, vivants bien mortels.
Il fut bien une poignée d'imbéciles pour s'interroger sur les recrudescences de lèpre et autres affections cutanées que l'on croyait, si ce n'est sorties du monde, au moins des amphithéâtres de médecine ...
Dans le doute, on abattit quand même les imbéciles. Les Cumbibi étaient bien trop heureux de savoir que la mort de l'être aimé ne signifiait plus, du moins dans l'écrin de leur charmant village, le renoncement au doux plaisir du contact charnel, si putréfié fut-il, et chacun de son vivant laissait la consigne de la partie de lui-même qu'il souhaitait voir sauvée de la noirceur mate et humide de la terre.
Les années passant, vous vous en doutez, de multiples légendes naquirent de ce cimetière, au même rythme que les épouvantails y tombaient : qui disait que la main de la tombe Millemule, l'instigateur de ce merveilleux phénomène, changeait de direction à chaque fois que la pleine lune rougissait avant 23h, les mois en R. De vieilles dames glissaient à l'oreille des plus jeunes que le gros orteil du Docteur Pissebeau rendait les mâles vigoureux, et la chevelure décatie de l'ancienne matrone du "Bar aux loutres" faisait merveille en tisane pour les acnés tenaces et les sciatiques douloureuses. Plus effrayant, on racontait - et l'on raconte encore - que le fantôme de la jeune morte-en-couches Paloma Friesca hantait le cimetière les soirs d'orage en se lamentant de son nez parfait qui aurait été brisé, ou volé, on ne sut jamais très bien.
Et aujourd'hui me direz-vous ? Eh bien le petit cimetière étrange de Cumberbach a continué de perpétuer son étrange tradition, et si vous prenez le temps un jour (ou une nuit, car le verrou du cimetière fut cassé en même temps que le nez de Paloma Friesca) de visiter ce charmant petit village et son petit cimetière, ne soyez pas surpris d'y trouver des cadavres d'épouvantails, des ossements éparpillés aux quatres vents, des bras, des pieds, des têtes diversement entamées surgissant ça et là entre les racines gonflées de sève des gros cyprès, et prenez le temps de vous recueillir sur la tombe de Monsieur Millemule, et puis sur la mienne aussi, à qui il fut laissée une main sortie, un crayon et une feuille pour vous raconter cette histoire, et d'autres à venir ...

lundi 18 novembre 2013

Ritournelle.

D'abord, une piqûre. Droit dans le cœur. Et comme un coup d'épée dans une eau glaciale, des ondes de gel parcourant ma poitrine, là, juste derrière mon sein.
Ensuite, une cavalcade de pensées, d'images, d'impressions fugitives et affolées, comme un essaim de guêpes où l'on aurait frappé.
Le corps enfin. Moite, pétrifié, de plomb. La lippe ballante, le souffle coincé au fond de la gorge, en forme de petite balle dure.
J'aurais voulu courir vers lui, le serrer dans mes bras, pleurer dans ses bras, me perdre dans ses bras ; j'aurais voulu faire semblant de ne pas l'avoir vu et poursuivre ma route, plus superbe que jamais, sous son regard que j'aurais voulu ébahi ; j'aurais voulu marcher vers lui d'un pas ferme et souple tel un félin verrouillant sa proie, et le gifler d'une force élastique, monumentale, j'aurais voulu ... J'aurais voulu qu'il vienne, et qu'il tombe à genoux. J'aurais voulu qu'il parte, et disparaisse dans un trou.
Mais je suis restée là, et lui a continué son chemin. L'expression vaguement peinée de son visage glissant calmement sur ses traits, pour ne plus rien me livrer de son âme. La figure fermée, le regard plus fuyant encore que son pas.
J'étais rentrée dans le corps de cet homme aussi profondément qu'il était rentré dans le mien. L'abandon furieux des gens amoureux.
Et voilà qu'à cet instant précis, bien plus encore que le jour où je lui avais dit adieu, nous étions devenus des étrangers l'un pour l'autre. Feignant l'indifférence, tentant de se convaincre que nous la ressentions vraiment, victimes placides et froides d'un excès de choses, de mots, et de désirs, forcés de reconnaître que le silence seul avait encore une chance d'exister entre nous.
Chacun vit à présent dans le fantasme de l'autre, écrasé le plus possible par les traits d'autres gens. D'une autre personne. Chacun se convainc qu'il a oublié l'autre, et chacun se persuade que les souvenirs qui persistent à se rejouer soirs après soirs ne sont pas des regrets.

vendredi 4 octobre 2013

Aventine

http://www.youtube.com/watch?v=6h9XUYj96ho

Bien sûr que je me rappelle de ta main dans la mienne. Bien sûr, je n'étais plus tout à fait là déjà, mais j'ai emporté dans mon voyage cette sensation. Humaine, si terrienne. La seule dont je puisse encore me rappeler aujourd'hui, là où je suis, de là où je t'écris. Je t'entends m'appeler tous les jours. Ne crois pas que je t'ignore parce que je ne te réponds pas, je suis là, mais tu ne m'entends pas. Tu ne serais pas d'accord, mais je pense que c'est mieux comme ça ... Un jour tu arrêteras de m'appeler. Un jour tu rangeras mes bijoux et mes écharpes dans la grande boîte que ta mère m'avait offert, et un jour plus loin tu rangeras la boîte. Je sais bien que tu te débats contre cette idée, mais demain n'est pas encore aujourd'hui ... et aujourd'hui tu pleures. Tu trouves que tout est gris, que la nourriture que tu te forces à avaler a un goût de cendres, que les gens sont stupides et ne savent dire que des choses stupides. Stupides et inutiles. Je sais aussi que tu me hais. Ce jour de mai j'ai capturé dans mon coeur et dans mon âme une partie de toi dont tu savais que jamais je ne te la rendrai. Tu m'en as voulu n'est-ce pas ? ... tu as prétendu que cela ne te faisait rien, que je pouvais la garder, que tu n'avais pas d'âme, pas de coeur. Rien. Et puis je t'ai laissé te faire à l'idée, je t'ai promis que jamais je ne m'enfuierai, que jamais je ne t'abîmerai. Mais tu sais bien que quand on aime, on promet toujours ... comme les collines de Rome, que l'on devait photographier à l'automne. Et moi je sais bien que ce n'était pas de ta faute ... La vie n'est pas la partie la plus simple de notre existence. Ce que nous soupçonnions existe bel et bien, cette lettre en est la preuve, même si hélas je ne peux te la confier qu'en rêve. Demain matin tu te réveilleras, et tu te souviendras de chaque mot. Si tu ne les notes pas immédiatement après avoir ouvert les yeux, ils seront perdus à jamais ... alors s'il te plait, n'oublie pas. J'avais cette intuition tu sais, que les morts pouvaient communiquer avec nous dans les rêves, que toutes ces choses que l'on voyait et qui refusaient de s'inscrire dans la mémoire ne pouvaient être que le fait de l'inconscient seul. Comment de simples cellules nerveuses pouvaient-elles peindre une planète que je n'avais jamais vue ? Des personnes que je n'avais jamais connues ? Comment pouvaient-elles me faire ressentir des émotions qui ne m'appartenaient pas ? Et à quoi bon ? A quoi bon rêver de cela, une fois que les rêves communs étaient passés, les “rêves de rangement” comme je les appelais ... Aujourd'hui je sais. Et j'espère que toi aussi, tu sauras. Et que cela te réconfortera, mon Amour, de savoir qu'il existe dans l'Espace-Temps un “endroit” où peut subsister ce qui n'a plus la possibilité de s'exprimer sur Terre. Cet endroit, je l'ai appelé Aventine, en hommage à ce voyage que nous n'avons pas fait, à cette promesse oubliée, qui un jour renaîtra ... Je voudrais pouvoir t'en écrire plus, mais les mots ne me viennent pas. Ce langage que nous partageons, il ne peut me servir que pour ce que nous avons partagé ... que pour ma vie sur Terre. Je peux encore raconter la balançoire en corde de mon enfance, les marmottes dans la montagne, les étoiles, et la douceur de tes yeux, mais pour l'après ... il n'y a plus de langage. C'est tellement plus simple aussi, tu sais. Mais toi, reste-là s'il te plait ... tu te tromperais de chemin en croyant me rejoindre. Termine d'abord celui que tu as sur Terre, parce que tu en as un, et au bout, je t'attendrai. Ne viens pas me rendre visite sur la Croix, je ne suis pas sous la terre, je ne suis plus ce que tu as enterré, alors cesse de l'imaginer, cesse de pourrir tes nuits à penser à mon corps décomposé. Là où il est, il sert sa cause. Et notre Existence sert la Sienne.
J'arrive au bout de ce que je peux t'écrire, mon ange. Je t'aime.

Rendez-vous sur Aventine.