![](https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhQvT9aU8QgH2O759rQVbrjwvuu6KiXvOkGQVHYoaeU2pjB8vnAr9Cx_1GSieoRGB9zaX8SV62p9NJWkPTOhmXhGjQrSpQnsNihcRdauhvplYdSsFiPsE25yZC-4kZLEyHjm9QVTznKJ3k/s400/Ambre+2.jpg)
(Histoire contenant une allégorie)
La jeune fille en noir au pendentif bleu était une jeune fille comme les autres, et pourtant pas tout à fait. Elle avait deux bras, deux jambes, une tête (fort bien faite par ailleurs), elle mangeait, buvait, vivait comme vous et moi. Mais la jeune fille en noir au pendentif bleu – outre cette légère excentricité – pouvait voler. Certes, pas forcément très haut, et sans battre des bras comme leurs ailes les oiseaux, mais elle pouvait d’une banale enjambée passer de son balcon au toit d’une maison, de ce toit au suivant, et ainsi de suite, plus agilement qu’un chat, qu’elle effrayait d’ailleurs parfois. C’était venu comme ça, une nuit qu’elle ne dormait pas, l’idée qu’en s’élançant telle une gracile ballerine, elle parviendrait sans heurt de l’autre côté de la rue.
L’idée qu’elle pouvait tomber ne lui semblait même pas saugrenue : elle ne lui était même pas venue ! Pour tout vous dire, bien qu’elle ne dormait effectivement pas, la jeune fille en noir au médaillon bleu était persuadée du contraire. Tout semblait si facile, si évident, et pourtant si idiot, qu’elle ne pouvait se figurer que de telles pensées puissent lui venir autrement qu’en rêve. Et pourtant ! C’est bien dans ce monde-ci, que nous partageons tous, bardé de toute part par la réalité, que la jeune fille en noir au pendentif bleu s’élança dans les airs par une belle nuit enténébrée, à peine griffée en son cœur par le plus léger croissant.
Il faut bien dire qu’elle était ravie, autant que puisse l’être une jeune fille de son âge, dont l’effronterie fait naître la témérité qui semble alors être la voie la plus sûre pour goûter à la liberté. Et la liberté, pour la jeune fille en noir au pendentif bleu, c’était de pouvoir soulever un coin du cadre vaporeux de la réalité, et y glisser ne serait-ce qu'un bras ... alors tout le corps, pensez !
Une nuit qu’elle était assise sur un toit trouvé là après quelques bonds, elle laissa son regard se perdre sur cette butte un peu lointaine qu’elle aimait tant, ce quasi-éther aussi apte à ouvrir les vannes de son imagination que pour d’autres les paradis artificiels, sauf que sa substance à elle s’absorbait par les yeux. Parce qu’au sommet de cette butte, pas tout à fait colline, se trouvaient entassées les pierres d’un ancien château, et qu’en contrebas se dressaient, telle une armée, une multitude de croix. Elle était, la jeune fille en noir au pendentif bleu, la dame noble de ce château par son esprit restauré, et les croix ses sujets. Toujours au-dessus de sa demeure, il faisait nuit, sauf quand elle en décidait autrement. Tantôt stryge, tantôt sorcière, tantôt duchesse, tantôt créature de la forêt de cyprès qui l’entourait, elle se rêvait puissante, mystique, magnifique … Combien de fois, sans bouger, portée par le flot fantastique de son imagination, s’était-elle enivrée du parfum éthylique de ces cyprès, avait-elle pleuré en constatant l’étendu de son domaine et l’immensité du ciel au-dessus d’elle, cette lune pleine, ouverte, qui l’attendait.
Qui, désormais, l’empêcherait d’atteindre sa butte ? Qui oserait s’accrocher à ses jambes pour l’empêcher de bondir encore de toits en toits, puis d’arbres en arbres, jusqu’à sa demeure ? C’est prise de cette frénésie que la jeune fille en noir au pendentif bleu se leva brusquement de son toit et s’élança à nouveau, plus vite, plus haut, sans jamais perdre de vue son merveilleux but. Seulement, sur le toit d’une église, le drame arriva : Son pied trop pressé, trop léger, glissa ; son corps quelques secondes avant si parfaitement puissant et éthéré chuta, dans un fracas mou et lourd, que seul freina imperceptiblement la main de marbre tendue d’un archange, qui garde encore dans sa paume blanche le petit pendentif bleu de la jeune fille en noir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire