Reviendras-tu ?
Je scrute l'horizon, une main en visière, et je ne vois plus rien.
Les avions passent dans le ciel. Les bâteaux fendent la mer. Vers la Grèce, vers l'Amérique.
Et tu es quelque part entre les deux.
Mon coeur est un boomerang, et tu es un boomerang, mon coeur.
Ton nom fait boom, bang, rrrr, il surprend, il sidère, il grogne et il éructe.
Quand il revient, c'est dans ma gueule.
Quand il ne revient pas, c'est sans mon coeur.
mercredi 21 novembre 2012
vendredi 2 novembre 2012
La forêt.
L’homme assis au bord de l’étang
vit dans l’eau le reflet du prédateur qu’il était.
jeudi 25 octobre 2012
mercredi 26 septembre 2012
Héritage
http://www.youtube.com/watch?v=Gf1h2PMPCAo
Et aujourd’hui, devant corps vide
et tranquille, je repense aux mots qu’elle avait pour me réconforter parfois.
Elle me disait : « tu
vois, ma belle, il faut que tu saches que chaque fois que tu ne croiras plus en
rien, chaque fois que tu n’auras plus envie de rire, chaque fois même que tu
n’auras même plus la force de pleurer, quand tu penseras que tu n’as plus
personne dans ta vie sur qui compter – pas même moi ! – alors tu pourras
faire quelque chose pour toi. Quelque chose que seules les femmes de notre
famille peuvent faire, et c’est pour ça que cette chose-là, quand tu la feras,
tu devras la garder secrète jusqu’à ce que tu ais une fille, ou que ton fils
ait une fille, ou que tu reconnaisses un être sur cette terre qui puisse être
comme née de ton âme et de sang. Tu feras cela : tu prendras ces deux
bagues d’argent que je garde encore un peu avec moi et que tu pourras porter
tant que tu voudras, plus tard, et tu les poseras sur ce livre ouvert, chaque
bague sur une page bien blanche. Tu fermeras alors les yeux, penseras très fort
à l’endroit où tu aimerais te trouver, et iras dormir en remettant tes bagues,
chacune à chaque annulaire de chaque main. Tu as bien compris ? ».
Je ne comprenais rien. La plupart
du temps, j’oubliais ce qu’elle me disait quelques minutes après. Mais à force
de me le répéter, années après années, j’avais fini par imprimer dans ma
mémoire chaque mot, à la façon d’une récitation que l’on apprend par cœur à
l’école, que l’on répète tant est si bien qu’à l’aube de sa mort on s’en
rappelle encore.
En revanche, l’effet qu’avaient
ses mots sur moi étaient le même depuis la première fois qu’elle m’avait parlé
ainsi, alors que je n’avais que 6 ou 7 ans. Je me sentais hypnotisée, bercée,
comme si des doigts doux et épais massaient mon cerveau à mesure qu’elle
parlait. Quelle qu’était ma tristesse, je finissais toujours par sourire
niaisement, et acceptait par la suite tout ce qu’elle me proposait pour me
changer les idées.
Etrangement, je n’avais jamais
ressenti le besoin de lui en demander plus, ni même de lui chiper ses bagues
dans son sommeil d’après déjeuner pour essayer ce qu’elle me disait. Je crois
que je m’en fichais, ou peut-être ne me sentais-je pas à ce point triste et
démunie comme elle le décrivait pour avoir envie d’essayer. Il me semble aussi
que tout cela sonnait pour moi comme un conte pour dormir. Quelque chose de
suffisamment crédible pour captiver, mais de suffisamment irréel pour ne pas
inquiéter. Je ne croyais pas vraiment
que quelque chose d’extraordinaire surviendrait si je suivais ses
recommandations. Tout au plus m’imaginais-je dormir d’un sommeil paisible,
comme après s’être vidé de ses larmes et avoir bu un lait chaud réconfortant.
Mais aujourd’hui c’est différent.
Je pense toujours qu’appliquer
les conseils de ma grand-mère me fera simplement dormir dans du coton, mais
compte-tenu de mon état mental, cela relèverait bel et bien de la magie.
Alors je m’assoie sur mon lit,
maintenant que tout est fini, qu’elle est sous la terre, et qu’ils sont tous
partis. J’ouvre la boite grossière laissée en héritage, contenant diverses
babioles, le livre, et les deux bagues. L’une ciselée de motifs évoquant l’art
celte, et l’autre composée de deux anneaux, l’un circulant sur l’autre,
finement strié. La couverture du livre évoque les vieux ouvrages de librairie,
en cuir brun, parcouru d’entrelacs dorés sans queue ni tête. Sans titre non
plus. Et sans mots à l’intérieur, exception faite du nom de jeune fille de ma
grand-mère : Lilaz.
Je pose chacune des bagues sur
deux pages blanches. Je pense à … rien. Je n’arrive plus à penser. Je souhaite
juste du calme, et du silence. Je place pour la première fois les bagues à mes
doigts : les deux me vont parfaitement. J’observe le contraste de l’argent
quelque peu noirci avec ma peau laiteuse et le juge plaisant, bien que
troublant. J’ai été trop habituée à voir ses bagues, pendant toute une vie, sur
les mains brunes et fanées de ma grand-mère. J’ai l’impression d’être elle,
lorsqu’elle était jeune, bien avant que je naisse. Je m’imagine grand-mère à
mon tour, et trouve soudain que la vie passe trop vite, et que c’est peut-être
la première fois que j’en fais non seulement le constat, mais que j’en prends
conscience.
J’écoute ce que me dit ma grand-mère.
Je m’étends sur mon lit et rabat toutes les couvertures sur moi, car même s’il
fait encore assez chaud au-dehors, moi j’ai froid. J’ai tout le temps froid.
J’enfonce mon visage dans l’oreiller et finis par ramasser mes mains sous mon
ventre, comme lorsque j’étais petite. Mon pouce joue avec l’anneau mobile d’une
des deux bagues, et rapidement, je crois, je commence à m’endormir.
C’est comme la sensation de chute
que l’on a parfois au début de la nuit, et qui malheureusement nous réveille
comme d’un cauchemar. C’est comme cette sensation, mais au ralenti, sans la
surprise et la peur, mais avec du coup l’impression étrange d’être à la fois
endormie et parfaitement réveillée, comme aux prises avec une autre réalité,
mais une réalité quand même …
Je chute vraiment, et une lumière
éblouissante m’entoure. Une vraie lumière, pas une lumière de rêve. Je commence
à avoir peur, je songe pêle-mêle : tunnel lumineux, NDE, poison, pages,
bagues, suicide … des choses qui me font rapidement prendre conscience que même
si la vie m’est lourde, je n’ai pas envie de mourir pour autant ! Mais
avant que la panique ne me tire de mon sommeil ou me fasse plonger dans le
cauchemar, la lumière autour de moi prend la forme d’une forêt. Une forêt que
je ne connais pas, composée d’éléments que je ne connais pas. Rien que mon
cerveau n’ait pu chimériser à partir de mes souvenirs ou d’images de film, ça
j’en suis sûre. Rien qui puisse me faire admettre qu’il s’agit d’un rêve. Et
pourtant, dans ce lieu, je me sens comme chez moi.
Et puis mon corps est bien là,
bien présent. Il n’est pas vaporeux et hors-contrôle comme dans un rêve. Il est
à la fois lourd et fluide, droit et souple, et je suis à l’intérieur de lui, je
le pilote, je ne le regarde pas faire des choses que je ne comprends pas. Il ne
se modifie pas, ne prend pas d’autres visages. Pas comme dans les rêves. Je
suis bien moi, et je suis bien là.
Comment décrire quelque chose que
je ne connais pas, comment créer dans votre imaginaire une image qui soit
fidèle à ce que je vois ? « Forêt », le mot même est ridicule au
regard de là où je suis, mais les éléments m’y semblent disposés comme dans une
forêt, je crois. Mais au lieu d’herbe sur le sol, il y a une sorte de masse
veloutée noire, douce et moelleuse sous les pieds, mais qui semble être –
lorsque je ne pense pas au sol sous mes pieds – un simple coussin d’air, et le
ciel au-dessus … le ciel est comme une immense tenture tantôt lâche, tantôt
plissée, faite de volutes et de renfoncements, une tenture dont la couleur
varie entre un bleu translucide, un violet profond et un pourpre tel qu’on en
voit dans les tableaux du Tintoret, et surtout : il scintille. Comme un
ciel étoilé, mais que l’on verrait de l’endroit de la terre où l’air serait le
plus pur qu’il soit, un ciel aussi sombre que lumineux, composé de masses, de
nuages, d’objets en mouvement et d’astres luisant immobiles, un ciel vivant, en
constante évolution, comme un feu d’artifice au ralenti ! Et entre ciel et
terre, des colonnes … qui pourraient être des arbres par leur base large et
leurs milliers de filaments qui partent vers le ciel, mais qui n’en sont
évident pas. Ils ont la taille de pommiers ou de baobabs, et semblent faits
d’une lumière … crémeuse, comme celle des aurores boréales, mais en plus
vibrantes et en plus nuancés encore. De leurs sommets jaillissent ses filaments
aussi fins que des cheveux qui semblent portés par de mystérieux vents
stellaires jusqu’au ciel, ou retombant vers le sol qu’ils caressent, comme les
branches avachies d’un saule pleureur. Lorsque j’en touche un, l’effet est le
même que lorsque ma grand-mère me parlait : mon cerveau s’engourdit, mon
corps s’assouplit et devient comme plus mou, en même temps que je me sens
emplie d’une clairvoyance sur mon état et sur le monde qu’aucun rêve ne serait
en mesure de m’octroyer.
Des vagues de lumière veloutée
vont et viennent vers moi à mesure qu’il me semble avancer, comme le ressac de
la mer colorée par le soleil lorsqu’il émerge, mais en plus immense, en plus
doux … et lorsque je m’allonge sur le velours noir, je vois comme tomber
d’un ciel au-dessus du ciel une planète géante, qui prend tout la place, une
planète semblable à la lune mais différente d’elle, je ne saurais dire en quoi
… elle est immense vraiment, et elle tourne, tourne au-dessus de ma tête, à la
fois plus proche que ne le sera jamais aucune planète de la terre, et plus
éloignée que tout le reste … je sais qu’elle va bientôt se fragmenter et
exploser, mais je suis étrangement sereine, comme préparée. Je ressens de
l’excitation, de l’impatience. J’ai envie que ça se produise maintenant !
Et ça se produit. La planète se craquèle comme une terre soudainement
desséchée, et explose, et de son explosion jaillit des myriades de poussières
glacées, formant d’immenses piliers de lumière pourpre et noire. De la lumière
noire. Du noir lumineux, comme je sais que je ne pourrais jamais en voir
éveillée … dans ma réalité. Quelque chose qui n’existe pas normalement. Et ces
piliers s’étalent et grandissent sur la toile tendue du ciel, et semble-t-il vers
un ciel qui doit exister au-dessus … et ce ciel, dont je perçois l’existence,
j’ai la conviction qu’il s’agit du ciel de notre réalité, le ciel que je
retrouverai lorsque je sortirai de cette vision et que j’irai m’étendre quelque
part dans la nature, dans la nuit d’automne. J’ai alors la sensation que je
suis ici dans un méta-univers, une antichambre de ce que le Cosmos génère pour
que nous puissions tenir debout. Tous. Humains, planètes, galaxies. Nous ne
nous effondrons pas dans les limbes parce que quelque chose ici se produit sans
cesse. Le Chaos, d’où émerge l’ordre parfait de l’univers. Ici sont toutes les
couleurs, toutes les formes, tous les mouvements possibles, ici je ne suis ni
morte ni en vie, ni dans le présent, ni dans le futur, ni même dans le passé.
Je suis et je ne suis pas, et je me tiens entre ces deux états. Et à mesure que
je pense cela, je m’aperçois que même si je ressens mon corps, je n’ai plus de
corps, je suis moi-même de la lumière, du scintillement, des couleurs et du
mouvement, qui se combattent et s’attirent dans une sorte de guerre et paix
perpétuels, et dont la résultante, l’énergie déployée pour ce faire est :
moi. Et tout se passe ainsi pour tout autour de moi, je perçois entre les rais
de lumière qui explosent et se dilatant, les particules qui fusionnent et se
défont.
Au-dessus de ma tête, une
nouvelle planète tournoie, une planète encore plus immense que la première et
qui semble recouverte d’un sable roux. Je sais que je dois partir avant qu’elle
n’explose aussi, mais je n’ai pas peur. Je m’en sens capable. Il me suffit de
le penser pour que l’énergie émerge, collapse l’énergie qui me maintient ici,
et que le souffle de ce choc me propulse hors du chaos.
J’ignore comment je le sais, mais
je le sais.
Et me voilà dans mon lit, le
visage enfoncé dans l’oreiller, les mains ramassées sous le ventre comme quand
j’étais petite. J’ouvre les yeux. Je pensais être partie quelques minutes ou
quelques heures à peine, mais le soleil va se lever. Je peux presque sentir la
petite décharge de mélatonine que mon épiphyse envoie à mon corps pour le
prévenir, cela fait comme une planète qui exploserait à la base de ma tête, et
dont les piliers de lumière feraient des ramifications dans mes bras et mes
jambes …
Je perçois la lumière grise qui
précède l’aube derrière mes paupières closes.
Le monde n’a jamais été aussi
calme ni aussi bien ordonné.
Lorsqu’enfin je me lève,
j’aperçois le livre aux pages vierges laissé ouvert sur mon secrétaire. Sauf
que les pages sont désormais noircies, par une écriture fine et resserrée
censée être la mienne, de ces mots que vous venez de lire.
Ma grand-mère est morte il y a
trois jours.
lundi 20 août 2012
La nuit d'Haruka
« Christine, c’est
toi ? »
Ces mots avaient résonné dans
l’esprit de la jeune femme comme un électrochoc.
Oui, c’était elle. Bien sûr que
c’était elle. Seulement elle n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait là, au
petit matin, dans cette rue qui sentait la pisse et qu’elle ne reconnaissait
pas.
Pourquoi était-elle assise par
terre ?
Et d’où venait ce goût de rouille
et de terre dans sa bouche ?
Ce sentiment trop rare, et si
particulier de …
« Je vais t’aider. On ne
peut pas rester ici. »
Elle se sentit décoller du sol
avant même d’avoir pu mettre un sens sur les mots, sur la voix. Une voix
d’homme, familière. Une odeur musquée et boisée, rassurante.
Elle se rappelait … que la veille
– ou était-ce plusieurs jours avant
ça ? – elle s’était retrouvée au … dans ce bar, ce bar où Julien et son
groupe se produisait souvent.
Julien … Ce nom avait éclaté dans
son esprit comme un souvenir pénible qui vous saute au visage le matin au
réveil, après avoir tenté de passer la nuit à la dissoudre dans le sommeil.
Elle revoyait le groupe sur
scène. L’allure à la fois altière et volontairement hautaine de son fiancé qui
haranguait la petite masse de créatures mi-enfants mi-corbeaux amassée au pied
de la scène. Elle revoyait la console poisseuse devant elle, le verre de coca
tiède qu’elle ne buvait que pour se donner une contenance dans cette atmosphère
paillarde, où tous les regards qui n’étaient pas braqués sur la scène l’étaient
sur elle.
Des regards curieux. Des regards
concupiscents. Des regards jaloux. Des regards vides.
C’est parce que quelqu’un l’avait
regardé différemment qu’elle était sortie de sa torpeur hypnotique, de ses
pensées de lit tiède et d’odeur de peau savonnée.
Cette … créature, de sexe
indéfinissable parce que les cheveux trop courts, les épaules trop carrées pour
être femme, et la bouche trop brillante, la poitrine trop saillante pour être
homme, l’avait regardée comme on regarde une amie … et une proie.
Curieux mélange de peur et
d’attirance. L’envie que la créature se lève et s’avance vers elle, et pourtant
le réflexe de regarder n’importe où ailleurs. Julien.
Peut-être d’ailleurs était-ce à
force de fixer l’homme qui partageait sa vie depuis deux ans, mais elle ne se
rappelait pas avoir vu s’asseoir l’être androgyne à sa table. Ni comment la
conversation la plus dérangeante de son existence avait pu commencer …
Un regard d’aigle enfoncé dans un visage de marbre
Un parfum de girofle et de benjoin, comme l’autel d’une église russe
Depuis toujours, quand elle
sentait que la situation lui échappait, Christine ne pouvait s’empêcher de
transformer ses pensées en phrases de roman. Cela donnait à sa vie, même dans
ses moments les plus insipides, une allure de chronique d’Anne Rice, car elle
décrivait ainsi mentalement chaque être qu’elle croisait, chaque paysage dans
lequel, pour une raison ou une autre, elle était forcée de figurer :
supermarché, arrêt de bus, salle d’attente …
Quand elle ne tricotait pas le
fil de ses pensées, elle dessinait.
Mais à cet instant précis, où ces
yeux d’un gris anthracite surréaliste la fixait comme si elle était la seule
possibilité offerte au regard de l’androgyne, elle aurait été bien incapable
d’attraper un crayon et de tracer quoique ce soit. Même son verre de coca lui
semblait trop gros pour sa main, trop froid pour sa peau, le goût du soda
devenu métallique et écœurant.
Le dialogue (sa voix de jeune
homme ? De femme mure ? De fumeur …) :
« … tu ne te mets jamais en
colère n’est-ce pas ? …
_ Eh bien … non, je n’aime pas
sortir de mes gonds.
(silence)
(sourire)
(dents qui brillent. Sourire
narquois. Moqueur ?)
_ Ton ami, lui, a l’air de savoir
comment canaliser sa colère. J’imagine que dans l’intimité, c’est plutôt un
homme calme ? Toujours d’humeur égale … jamais énervé …
_ Oui ! (pourquoi était-elle
soudainement agacée ?). Enfin il n’y pas de mal à ça je suppose, si ?
_ Je t’ai vexée. Pardonne-moi. Je
ne pensais pas que j’abordais un sujet sensible.
Son sourire disait exactement le
contraire. Son sourire disait : « je te balade exactement là où j’ai
envie de te balader ».
Christine n’eut pas le temps de
se défendre. De répondre calmement quelque chose de détaché et d’intelligent.
Les mots étaient trop gros, trop massifs, pour s’extirper de sa gorge en autre
chose qu’un léger étranglement.
La créature sourit, satisfaite.
Son regard sembla brusquement se radoucir, comme mâtiné d’empathie.
_ Je m’appelle Haruka.
_ C’est japonais !
La jeune femme avait répondu cela
sans réfléchir, la surprise (le plaisir ?) balayant en quelques fractions
de seconde son agacement. La culture japonaise avait toujours été une passion
pour elle … une légère oppression se fit sentir dans sa poitrine. Cela faisait
des années qu’elle n’avait pas ouvert un manga ou tenté de parler cette langue
qu’elle avait passé des mois à étudier.
_ Tu es intelligente
(ironie ?). C’est japonais effectivement. Je suis quarteronne, pourrait-on
dire. Comme toi …
Christine voulut répliquer
qu’elle n’était en rien quarteronne de quoi que ce soit, mais quelque chose
empêchait ses mots de sortir de sa bouche. C’était comme lorsqu’un
touriste britannique lui posait une question qu’elle comprenait parfaitement,
mais qu’elle se sentait incapable d’y répondre, son cerveau comme asséché des
mots nécessaires pourtant habituellement bien présents.
Mais c’était donc une femme. Sans
qu’elle ne sache exactement pourquoi, cela la rassura.
_ La politesse voudrait que tu me
dises en retour comment tu t’appelles. Mais l’honnêteté m’oblige à te révéler
que ça ne servirait en réalité à rien, puisque je le sais déjà. Ton fiancé nous
regarde tu sais …
C’était vrai. Sa bouche
psalmodiait les paroles d’une chanson évoquant un seigneur errant sur les
remparts d’un château déserté, mais ses yeux étaient rivés sur la scène qui se
tramait à quelques mètres de lui, chichement éclairée par les néons crasseux de
ce bar où il semblait regretter de minute en minute de l’y avoir emmenée.
L’atmosphère devenait poisseuse.
Puante même. Une pellicule de sueur glacée s’était formée sur son front,
Christine s’en rappelait bien maintenant, parce qu’elle s’était dit qu’elle
devait avoir l’air bien misérable en comparaison d’Haruka, dont la fraicheur
laissait à penser qu’elle évoluait dans un univers à part de ce monde
tristement terrien.
_ Comment connaissez-vous mon
prénom ? Parvint-elle à articuler, douloureusement.
Le visage blanc et étonnamment
symétrique d’Haruka se fit plus dur. Son ton agacé. Cynique.
_ Je te connais parce que je
t’observe depuis longtemps. J’ai attendu que ton identité se révèle à toi
naturellement, mais les années passant j’ai laissé cet espoir s’envoler. Tu
étais une jeune fille pleine de sentiments bassement humains, mais tu avais
aussi en toi cette envie de séduire, de provoquer, ce goût pour la chair crue …
une rage enfin qui ne demandait qu’à s’épanouir, comme une orchidée noire. Tu
étais parfaite. Tes cheveux, ta poitrine, ta peau, tes dents … tu as tout
renié ! Tu t’es castrée comme un chiot maladroit qui arrive à se couper la
queue de ses propres crocs à force de lui courir après ! Tu as laissé tes
études ridicules t’écraser, te mouler en petite créature pensante et humble, au
lieu de t’élever au-dessus du commun des mortels comme tu prétendais le
faire !
La jeune femme se sentit désespérément seule. Acculée à un mur
invisible de sueur glacée. Les mots se bousculaient dans sa tête, elle se
refusait à croire qu’ils puissent faire à ce point sens, et pourtant … Elle
voulut répondre, mais sa langue se muait en plomb fondu qui semblait lui sortir
par les yeux en larmes gélatineuses …
L’odeur de benjoin devenait
presqu’écœurante. Le regard d’Haruka était dur, cruel même … mais aussi emprunt
d’une forme de déception quasi-maternelle.
_ Tu t’es écartée du cimetière.
Tu t’es écartée du sang. Pis encore : tu t’es écartée de toi-même.
C’en était trop.
Une vague d’émotion. De haine.
Une envie de hurler.
Christine se souvenait s’être
levée avec une rage que son corps n’avait jamais abrité. L’impression nette que
tous ses muscles étaient traversés de courants électriques. Sa tête
bourdonnait, plus rien autour d’elle n’avait de sens, ni même de matière. Sa
tête se renversa en arrière, elle vit le lustre poussiéreux aux fausses bougies
en plastique suspendu au plafond, sa nuque craqua en un bruit terrifiant qui
firent sursauter les personnes des tables avoisinantes. Sa tête revint dans
l’axe. Quelque chose dans son regard – ses yeux ? – avait changé. Quelque
chose qui fit sourire Haruka. Elle sentit un vrombissement dans ses reins, ses
mains se tordirent en spasmes nerveux, entre danse orientale et crise
d’épilepsie. Elle eut envie de rire et de hurler. Elle voulait embrasser Haruka
sur la bouche, lécher son visage. Mais son corps se projeta de lui-même contre
le mur poussiéreux derrière elle, et sa langue attrapa habilement un cafard qui
courait-là.
La musique, les gens, le bar,
tout était ailleurs, ou mort.
Christine vit que ses cheveux
poussaient jusqu’à ses pieds, et s’étendaient au-delà, s’insinuant entre les
chairs remuantes. Ses côtes se serraient, sa poitrine se gonflait, ses jambes
s’étiraient. Du moins était-ce la sensation qu’elle avait de son corps à ce
moment précis.
Lentement, les poings serrés,
elle sortit du bar.
Elle croisa son reflet dans la
devanture. Ses yeux étaient entièrement blancs, sa tête exagérément tendue vers
l’arrière, son corps étiré comme la corde bandée d’un arc prêt à décocher un
carreau mortel.
Une odeur de cannelle et d’opium.
Et puis … la voix de Julien.
« Christine, c’est toi ? »
Sa tête ballotait mollement sur
son épaule : il la portait, comme si elle n’avait été qu’un simple sac de
chiffons. Sa nuque était douloureuse. Ses cheveux étaient collés à son visage
par ce qui lui sembla être du sang, mais elle ne le sentait s’écouler de nulle
part. Son estomac lui renvoyait des relents indéfinissables. En laissant sa
tête rouler de côté, elle vit s’éloigner au fur et à mesure des pas de Julien
la ruelle qu’ils venaient de quitter. Les poubelles du bar. Et entre les
poubelles, un paquet de chair morte, la mâchoire déboitée, la poitrine
arrachée.
Les pensées se brouillèrent dans son esprit. Ce corps déchiqueté, ce
cadavre, cela ne pouvait être qu’un malheureux concours de circonstances … elle
essaya de se rappeler une rixe qui n’avait jamais existée. Elle … elle …
Elle se réveilla dans la chambre
de Julien. Penché au-dessus d’elle, il s’évertuait à nettoyer son visage et ses
cheveux avec un gant de toilette humide, qui sentait le propre et la fleur
d’oranger. L’expression de son visage était intraduisible. Fermée. Elle voulut
d’abord croire qu’elle avait rêvé. Que la réalité s’était arrêtée à sa rêverie
de lit propre et de peau savonnée, au début du concert … ce concert qui lui
semblait lointain d’une centaine d’années. Elle l’interrogea du regard, et les
yeux noirs qui ne semblaient même pas relever ses questions muettes en disaient
plus long que n’importe quelle parole.
Elle pleurait.
La jeune fille pleurait des larmes silencieuses. Elle aurait voulu tout
oublier. Sentir contre son buste celui rassurant de son homme, sa main dans ses
cheveux, lui susurrant des paroles réconfortantes comme à un enfant aux genoux
écorchés …
« Julien, je … je ne me
rappelle plus ! Je ne sais pas ce qui est arrivé à ce pauvre homme dans la
rue … je te jure …
_ C’était une femme, lâcha
laconiquement le jeune homme sans cesser de nettoyer le front de sa compagne.
_ C’est … qu’est-ce qu’il s’est
passé ?! S’étrangla Christine qui tentait à présent de se redresser, et
commençait à être agacée par la sensation mouillée sur son front et ses
cheveux.
_ Tu sais ce qu’il s’est passé.
Mieux que moi sans doute. Tu dois juste accepter de t’en rappeler.
Cette fois-ci, la jeune femme
sentit une réelle colère monter en elle. Dangereusement proche de ce qu’elle
avait éprouvé la veille, à la table d’Haruka :
_ Tu essaies de jouer au psy avec
moi ?!
Julien cette fois-ci reposa le
gant humide dans la bassine près de lui, et riva son regard dans celui de
Christine :
_ Je ne joue à rien du tout.
Seulement je ne peux pas te raconter une scène à laquelle je n’ai pas
assisté ! Mais tu as vu son état … tu as le goût de son sang dans ta
bouche, une partie de ses chairs dans ton estomac … tu étais à côté d’elle
quand je t’ai trouvée. Qu’a-t-il bien pu se passer à ton avis ?
La jeune femme resta muette. Il
lui sembla faire un effort intellectuel honnête pour tenter de se rappeler de
quelque chose, mais son cerveau refusait de lui répondre. Elle ne savait
comment interpréter le calme de son compagnon, compte-tenu de ce qui semblait
se dessiner de plus en plus comme un meurtre de sang-froid, dont elle était
l’unique et amnésique responsable. En pareilles circonstances, elle aurait
pensé être en proie à une crise de panique, de larmes, elle aurait supplié pour
ne pas passer le reste de ses jours en prison … mais aucune émotion ni pensée
de ce genre n’effleura son esprit.
Alors elle éclata de rire. Elle
balbutia : « meurtre de sang-froid », chercha le regard de
Julien, et se mit à rire de plus belle. Il arbora un sourire discret mais
complice.
Il soupira :
« Haruka avait raison. Il y
a bien de la rage en toi. Tu vas devoir apprendre à la canaliser … autrement
qu’en crayonnant et en te racontant des petites histoires dans ta tête bien sûr
…
Christine s’arrêta brusquement de
rire. Elle essaya de dire quelque chose qui traduisait son trouble et les
centaines de questions qui se bousculaient son esprit, mais elle ne parvint
qu’à émettre un son que Julien se contenta d’ignorer.
« … pour moi le chant marche
bien. La thèse aussi était un bon catalyseur. Le sport bien sûr … un
art-martial … enfin ce que tu veux. Ce que tu voudras bien me laisser t’apprendre
… sans avoir envie de m’égorger bien sûr ! ».
Il lui fit un clin d’œil furtif.
Se leva. Alla regarder machinalement à la fenêtre. Puis avança à pas félins
vers la cuisine où Christine put l’entendre se servir un verre d’eau. Elle suivait
et détaillait chacun de ses gestes, bouche bée.
« Ah oui ! Et puis bien
sûr tu raconteras à tout le monde que tu es devenue végétarienne ! Ca
évite les soupçons en cas d’esclandre, comme celui d’hier soir par exemple
… »
Sortant la tête de l’encadrement
de la porte, il ajouta, d’une voix plus douce et dans un léger
sourire :
« Mais tu as bien fait de te
débarrasser d’Haruka. Je commençais à en avoir marre de la voir trainer autour
de toi. Après tout, je t’avais repéré le premier ! ».
La jeune vampire s’éveilla pour la première fois dans la pleine
conscience de qui elle était, de sa beauté, de son intelligence, de sa
supériorité. Elle regarda avec bienveillance et reconnaissance l’homme allongé
près d’elle, parcourant d’un doigt invisible le tracé sinueux de ses tatouages
qu’elle avait admirés tant de fois sans jamais vouloir en reconnaître le sens.
Sa bouche avait retrouvé un goût de chair tiède et de salive qui ne lui
convenait pas. L’appel du sang pulsait dans son corps, plus fort que n’importe
quel désir de chair qui l’avait étreint jusque-là … elle s’extirpa du lit dans
un glissement animal, inspira sa propre odeur de cannelle et d’opium, et
regarda machinalement par la fenêtre les prémices du monde qui était désormais
offert à sa rage, trop longtemps endormie …
mercredi 11 juillet 2012
Point de rencontre
La violence, lancinante, la violence ...
Elle est dans ce fantasme de recevoir une claque, un coup de poing, un choc, pour lui donner corps.
Elle est dans cette voiture qui m'écrase violemment chaque fois que je traverse la route.
Elle est dans ce message que je n'envoie jamais, en suspend au bout de mes doigts.
Dans les mensonges que je me créée et dans lesquels, petit à petit, je me noie.
Elle est dans cette envie, bien sûr, de saisir son poignet, de le lui tordre, d'attraper sa gorge et de la broyer. Dès qu'elle parle. Dès qu'il ose.
Elle est surtout dans le silence des blessures que l'on lèche. Dans cet onanisme physique et mental qui signe la frustration, l'abandon de la lutte, l'inverse même de la mort.
La violence c'est toi.
Toi qui me lis, toi qui me regarde à travers mes mots, et qui ne dit rien.
Elle est dans ton désir de me dire quelque chose, et dans ton mépris total pour ma personne.
Elle est dans le fait que je désire tes mots autant que je te méprise également.
Et quand j'inspire un peu trop fort, je sens vibrer la corde tendue de ma trachée ...
Elle est dans ce fantasme de recevoir une claque, un coup de poing, un choc, pour lui donner corps.
Elle est dans cette voiture qui m'écrase violemment chaque fois que je traverse la route.
Elle est dans ce message que je n'envoie jamais, en suspend au bout de mes doigts.
Dans les mensonges que je me créée et dans lesquels, petit à petit, je me noie.
Elle est dans cette envie, bien sûr, de saisir son poignet, de le lui tordre, d'attraper sa gorge et de la broyer. Dès qu'elle parle. Dès qu'il ose.
Elle est surtout dans le silence des blessures que l'on lèche. Dans cet onanisme physique et mental qui signe la frustration, l'abandon de la lutte, l'inverse même de la mort.
La violence c'est toi.
Toi qui me lis, toi qui me regarde à travers mes mots, et qui ne dit rien.
Elle est dans ton désir de me dire quelque chose, et dans ton mépris total pour ma personne.
Elle est dans le fait que je désire tes mots autant que je te méprise également.
Et quand j'inspire un peu trop fort, je sens vibrer la corde tendue de ma trachée ...
mardi 12 juin 2012
dimanche 3 juin 2012
mercredi 30 mai 2012
dimanche 20 mai 2012
jeudi 10 mai 2012
Eux deux.
C'est l'histoire d'un mensonge : celui qui dit que l'homme est un loup pour l'homme. C'est une vieille pensée, mais elle justifie encore aujourd'hui certains broiements d'os humains dans les milieux financiers. L'instinct grégaire est premier, parce que l'homme nait faible et immature. Parce qu'il nait en haïssant cet environnement hostile qui lui rappelle sans cesse sans faiblesse et son impuissance. Il maudit même sa mère qui ne vient pas toujours quand il la demande. L'homme ne nait pas aimant, non, mais il n'est pas un loup pour celui qui, comme lui, crie et pleure pour être nourri. Parce que l'homme est doué d'empathie pour l'homme. Il sait ressentir ce qu'il ressent, il sait penser ce que l'autre pense, il peut se reconnaître dans l'autre comme dans un miroir. L'homme est egoïste, mais c'est ce qui le sauve d'être un prédateur naturel pour son prochain ... Et dans tout ce qu'il peut retirer d'utile à sa survie dans cette empathie, il y a l'affection. Etre couvé du regard, des mains, se sentir exister des limbes ... Avoir conscience d'avoir conscience de sa finalité, et finir par émettre l'hypothèse qu'il y a peut-être quelque chose de bon à recevoir mais aussi à donner avant de partir. Peut-être pas dans ce sens-là, mettons ... "Qu'as-tu fait pour les autres ?", "Comment as-tu aimé ?", voilà ce qu'un dieu aurait dit à une femme morte et ressuscitée. Qui s'endort en pensant à ce qu'il a fait pour les autres dans la journée ? Qui ne pense pas à ce que les autres n'ont pas fait pour lui ? Pas moi.
Je les revois, eux. Debouts côtes à côtes, ils font mine de ne s'intéresser que superficiellement l'un à l'autre. Leurs mains reposent sur la balustrade, proches, très proches les unes des autres, solidement arrimées. Leurs auriculaires se frôlent, un sourire invisible pour quiconque cligne des yeux se dessine. Ils se disent à bientôt, et pendant des jours, leur coeur remonté dans leur oesophage bloque l'accès à toute autre nourriture que celles de leurs mots.
Quel loup se laisserait crever de faim pour un hurlement de loup ?
Je les revois, eux. Debouts côtes à côtes, ils font mine de ne s'intéresser que superficiellement l'un à l'autre. Leurs mains reposent sur la balustrade, proches, très proches les unes des autres, solidement arrimées. Leurs auriculaires se frôlent, un sourire invisible pour quiconque cligne des yeux se dessine. Ils se disent à bientôt, et pendant des jours, leur coeur remonté dans leur oesophage bloque l'accès à toute autre nourriture que celles de leurs mots.
Quel loup se laisserait crever de faim pour un hurlement de loup ?
mercredi 2 mai 2012
Eux.
J'ai vu la chose la plus adorable et la plus parfaite du monde. La plus adorable et la plus parfaite pour moi. Ils étaient l'un à côté de l'autre, ils ne pouvaient pas se regarder, à peine se voir. Chacun dans sa tenue de travail, chacun faisant mine d'être préoccupé par quelque chose de plus important que la terre qui tourne autour du soleil et la lune qui tourne autour de la terre. Chacun regardant ailleurs, faisant mine d'ignorer l'autre tout en faisant tout pour ne pas être ignoré de l'autre. J'ai vu leur sourire, fugace, léger comme le vol d'un papillon fraîchement sorti du cocon, j'ai vu leurs mains se frôler l'espace d'un instant, un seul instant, un battement de cil, un grain s'évanouissant dans le sablier. J'ai vu les pupilles se rejoindre dans un milieu de nulle part connus d'eux seuls, et je les ai vu se séparer comme si de rien n'était.
Chacun d'entre nous doit avoir connu ça, chacun d'entre nous doit l'avoir ressenti au moins une fois.
Debout devant la pierre, je me demande si je l'ai bel et bien connu. Cette personne, ce sentiment. Je me demande si les liens du sang procurent des émotions aussi intenses que ce fragment d'éternité, je me demande si j'aurais pu être son amie, au lieu d'être une lointaine cousine. Je me demande ce que cela ferait d'être sa femme à cet instant, lui qui n'a jamais eu la même plus d'une semaine. Je regarde sa mère, sa toute petite mère minuscule, cette portion de femme solide et sèche comme de l'écorce qui a vu mourir son seul amour. Son bel amour, un très bel homme, plus beau que l'homme choisit par sa soeur, alors qu'elle n'était pas la plus belle ... cet homme si doux, si parfait, dont le coeur s'est déchiré comme ça un jour normal, un jour de mai. Et aujourd'hui elle enterre son fils à lui, son fils à elle, son fils qui n'est jamais parti, qui n'a jamais voulu laisser la place de son père vide. Elle prend l'urne, elle dit : "donnez-moi ça, donnez-moi mon gamin ..." et elle murmure pour elle-même : "en plus c'est tout chaud, ça me fera du bien". Elle a traversé tout le cimetière avec son urne sur la poitrine, tellement petite qu'elle aurait pu rentrer dedans elle aussi.
Quel intérêt de se battre, quel intérêt de ne pas aimer. Moi après ce jour-là j'ai dit à mon père qu'il était mon seul père, mon papa, que jamais je n'avais cessé de l'aimer, que je mourrai de chagrin quand lui mourra.
C'était tellement lourd, tellement grave, cette impression nauséeuse de ne pouvoir regarder nulle part. J'aurais voulu alors retrouver l'innocence d'un simple instant suspendu dans l'éternité, quand j'étais assise sur ce banc d'amphithéâtre, et qu'il est venu s'asseoir près de moi, faisant mine de ne pas me regarder, de ne pas me voir ...
J'ai vu la chose la plus adorable et la plus parfaite du monde. Je les ai vu.
Chacun d'entre nous doit avoir connu ça, chacun d'entre nous doit l'avoir ressenti au moins une fois.
Debout devant la pierre, je me demande si je l'ai bel et bien connu. Cette personne, ce sentiment. Je me demande si les liens du sang procurent des émotions aussi intenses que ce fragment d'éternité, je me demande si j'aurais pu être son amie, au lieu d'être une lointaine cousine. Je me demande ce que cela ferait d'être sa femme à cet instant, lui qui n'a jamais eu la même plus d'une semaine. Je regarde sa mère, sa toute petite mère minuscule, cette portion de femme solide et sèche comme de l'écorce qui a vu mourir son seul amour. Son bel amour, un très bel homme, plus beau que l'homme choisit par sa soeur, alors qu'elle n'était pas la plus belle ... cet homme si doux, si parfait, dont le coeur s'est déchiré comme ça un jour normal, un jour de mai. Et aujourd'hui elle enterre son fils à lui, son fils à elle, son fils qui n'est jamais parti, qui n'a jamais voulu laisser la place de son père vide. Elle prend l'urne, elle dit : "donnez-moi ça, donnez-moi mon gamin ..." et elle murmure pour elle-même : "en plus c'est tout chaud, ça me fera du bien". Elle a traversé tout le cimetière avec son urne sur la poitrine, tellement petite qu'elle aurait pu rentrer dedans elle aussi.
Quel intérêt de se battre, quel intérêt de ne pas aimer. Moi après ce jour-là j'ai dit à mon père qu'il était mon seul père, mon papa, que jamais je n'avais cessé de l'aimer, que je mourrai de chagrin quand lui mourra.
C'était tellement lourd, tellement grave, cette impression nauséeuse de ne pouvoir regarder nulle part. J'aurais voulu alors retrouver l'innocence d'un simple instant suspendu dans l'éternité, quand j'étais assise sur ce banc d'amphithéâtre, et qu'il est venu s'asseoir près de moi, faisant mine de ne pas me regarder, de ne pas me voir ...
J'ai vu la chose la plus adorable et la plus parfaite du monde. Je les ai vu.
lundi 30 avril 2012
vendredi 20 avril 2012
Tout le temps du monde
Je me rappelle que fut un temps, j'aimais à me rouler dans la poussière du monde.
Je me rappelle que celui des vivants n'était qu'un parmi d'autres.
Une fourmillière dans un jardin d'enfants, que l'on observe avec désintérêt ou amusement.
Je n'avais pas de métier, je n'avais pas d'argent, je ne voulais pas de famille, je ne voulais pas d'enfants.
Je n'avais que moi, et mes rêves qui comblaient ce que je n'avais pas.
Une toile de fantasmes, de bulles soufflées au vent.
Des mots lus. Des mots écrits. Des mots pensés. Le temps.
Tout le temps du monde, que le monde n'avait pas.
Je me rappelle que celui des vivants n'était qu'un parmi d'autres.
Une fourmillière dans un jardin d'enfants, que l'on observe avec désintérêt ou amusement.
Je n'avais pas de métier, je n'avais pas d'argent, je ne voulais pas de famille, je ne voulais pas d'enfants.
Je n'avais que moi, et mes rêves qui comblaient ce que je n'avais pas.
Une toile de fantasmes, de bulles soufflées au vent.
Des mots lus. Des mots écrits. Des mots pensés. Le temps.
Tout le temps du monde, que le monde n'avait pas.
samedi 7 avril 2012
lundi 12 mars 2012
mercredi 7 mars 2012
samedi 3 mars 2012
lundi 13 février 2012
L'oubliée
Et une fois encore ça repart,
Une fois encore je la reprends,
Et quand je vois que tu repars
J'imagine parfois qu'elle s'annule ...
Et si comme, sans le faire exprès,
Comme ça pour voir, je l'oubliais,
Quand d'un sourire tu te retires ...
Si moi d'un acte manqué, je faisais
Que le "destin", un peu, t'encule ...
Les insultes fuseraient en catapulte :
Sale traitresse, sale chienne, sale pute ...
Je te traiterais de sortes d'animal, car
Dans ma langue il n'y pas de masculin
Pour ce que tu me hurles si bien.
Je serais curieuse de te voir
Avec un cerveau dans les mains
Toi qui aime tant voir les miroirs
Là on peut dire que tu aurais le tien ...
Bien sûr j'ai des valeurs, bien sûr j'ai des principes,
Surtout bien admirables quand je taille des pipes,
Mais quand l'ambiance retombe un peu
Et que tes fables ne valent guère mieux
J'entends là ce pamphlet minable
Classique de ton genre de type ...
Alors je me dis, voyons voir,
Combien encore vont faire la queue
Pour louer ma voix, mon regard
Et me la fourrer entre les deux ...
Faut-il vraiment attendre et voir ?
"Laisser le temps faire son office"
Laisser l'attente et tous ses vices
Remplir le vide du désespoir ?
Et une fois encore ça repart,
Une fois encore, je me reprends ...
Une fois encore je la reprends,
Et quand je vois que tu repars
J'imagine parfois qu'elle s'annule ...
Et si comme, sans le faire exprès,
Comme ça pour voir, je l'oubliais,
Quand d'un sourire tu te retires ...
Si moi d'un acte manqué, je faisais
Que le "destin", un peu, t'encule ...
Les insultes fuseraient en catapulte :
Sale traitresse, sale chienne, sale pute ...
Je te traiterais de sortes d'animal, car
Dans ma langue il n'y pas de masculin
Pour ce que tu me hurles si bien.
Je serais curieuse de te voir
Avec un cerveau dans les mains
Toi qui aime tant voir les miroirs
Là on peut dire que tu aurais le tien ...
Bien sûr j'ai des valeurs, bien sûr j'ai des principes,
Surtout bien admirables quand je taille des pipes,
Mais quand l'ambiance retombe un peu
Et que tes fables ne valent guère mieux
J'entends là ce pamphlet minable
Classique de ton genre de type ...
Alors je me dis, voyons voir,
Combien encore vont faire la queue
Pour louer ma voix, mon regard
Et me la fourrer entre les deux ...
Faut-il vraiment attendre et voir ?
"Laisser le temps faire son office"
Laisser l'attente et tous ses vices
Remplir le vide du désespoir ?
Et une fois encore ça repart,
Une fois encore, je me reprends ...
dimanche 12 février 2012
Anima, animus
Quelques civilisations plus ou moins "primitives" véhiculent la croyance, le concept ?, de l'"animal-totem". Dans la plupart des cas, il s'agit de vénérer les dieux au travers des animaux censés les représenter sur terre, parmi les humains. Certains animaux protègent certaines tribus, ou veillent à certains bienfaits, ou au contraire aux malédictions ... enfin bref, tout le monde sait ça. Dans d'autres cas, notamment en Afrique - l'Afrique est un pays où tout le monde a la même couleur de peau et les mêmes usages, on dira ça comme ça hein, parce qu'on ne va pas non plus s'improviser une culture en quelques secondes - l'animal peut être perçu, chez les initiés, comme une sorte de double, protecteur ou maléfique, complètement passif voire inutile, ou potentiellement "missionnable" pour commettre à votre place des méfaits de tous genres. Je pense aussi bien sûr aux mythes plus familiers de notre culture, les lycanthropes, mais aussi les sorcières capables de se transformer en hiboux ou en chats noirs ... La Fontaine prêtait des traits animaux aux figures de ses fables, et les bandes-dessinées pour enfants ou même pour adulte - même Pénélope Bagieu s'y est mise tiens - sont pleines de figures animales anthropomorphiques. Je pense notamment à Donald se baladant sans vergogne le cul à l'air, ou à Franklin la tortue, à qui il n'arrive jamais rien. Pour les plus grands (?) il y a aussi cette connasse d'Hello Kitty, sorte d'avatar de tout ce que nous, les filles (?), trimballons inconsciemment (?) de plus mignon, tendre, innocent, et surtout de parfaitement crétin. Enfin pour les petites filles bien sûr que ça passe hein. D'ailleurs, "l'objet transitionnel", le doudou censé aider à supporter l'absence de la mère ou quelque être apparenté, c'est rarement une poupée vaudou de la mère en question. On fait plutôt dans le lapin qui pue en général, ou l'ourson, ou l'animal transgénique du moment (le furby, si je me rappelle bien ?) censé également veiller sur notre sommeil, tel un dream-catcher occidental et parfumé au BN. Mon animal-totem-doudou à moi c'était une luciole (après c'était ET, du film de Spielberg, mais ça compte pas pour ce que je veux raconter). Aujourd'hui, et depuis l'adolescence, je suis officiellement entomophobe, allez comprendre. Après il y avait les chats. Le premier de 3 à 19 ans, le second de 17 à 24 ans, donc en gros 20 ans à côtoyer du félin, voire QUE du félin (pas de frères et soeurs, parfois même pas de parents ... enfin à la maison je veux dire), à dormir avec, à goûter de la croquette, à bouffer du poil, à risquer le tétanos 50 fois par jour. Depuis quelques années, je miaule. Pas pour tout le monde, pas devant tout le monde, pas au boulot non, pas à la caissière du Super U, m'enfin je miaule quand même pas mal. Je ronronne aussi. Au début c'était pour déconner, avec un mec, et puis c'est resté comme un réflexe. Je serais curieuse de savoir si le mec en question a gardé lui aussi cette habitude d'ailleurs. Et puis bon les chats sont morts, et depuis quelques temps je fais une fixation sur les pigeons. J'ai renoncé à les faire fuir et à nettoyer les traces de leur passage sur ce qui me sert de balcons. Ils sont tout le temps là, sur le toit en face, ou sur le rebord de ma table, parce qu'il y a toujours une connasse de voisine qui ne trouve rien de mieux à faire que de balancer des miches entières de pain sur le toit du garage (et pendant c'temps là il y a des SDF qui crèvent la dalle ma pauvre dame ! La France va mal, moi j'vous l'dis !).
Je les observe bouffer donc, tenter de se séduire en gonflant du goître et en avançant, feignant d'avoir une démarche classieuse (ça me fait toujours rire, d'autant que je n'ai JAMAIS vu une seule femelle succomber à cette mise en scène pitoyable, ça dure en général 5mns et elles finissent par se barrer, à se demander à quel moment "ça" baise pour de vrai, puisque des piegons hein, il y en a toujours des millions ...), voler aussi, en les enviant un peu comme toute poétesse ratée. Et la chanson de Goldman, "La vie par procuration", m'obsède comme un mantra.
Je me dis parfois que je pourrais finir vieille (?) seule, protégée, entourée de tous mes animaux totems : les lucioles, les chats, les pigeons. Les chats essaieraient probablement de bouffer les pigeons qui chieraient partout sur les cadavres de lucioles ne pouvant pas vivre enfermées dans une maison, et ça serait un beau bordel dans lequel je pourrais progressivement régresser, jusqu'à me pelotonner en position foetale dans le cadavre de l'une ou l'autre bestiole. Genre vieil indien appelé "Grand Ours", et habillé d'une peau d'ours. Mais là ça serait de la fourrure de chat galeux ("Grande Chatte" du coup ? Je suis pas sûre ...) et de la plume grise parfumée au mazout. Eventuellement des ET finiraient par me téléporter dans un vaisseau pour un examen proctologique, mais je dévie du sujet.
Parfois, je me demande vraiment pourquoi je continue de me mettre des crèmes et des soins qui font la peau douce ...
Je les observe bouffer donc, tenter de se séduire en gonflant du goître et en avançant, feignant d'avoir une démarche classieuse (ça me fait toujours rire, d'autant que je n'ai JAMAIS vu une seule femelle succomber à cette mise en scène pitoyable, ça dure en général 5mns et elles finissent par se barrer, à se demander à quel moment "ça" baise pour de vrai, puisque des piegons hein, il y en a toujours des millions ...), voler aussi, en les enviant un peu comme toute poétesse ratée. Et la chanson de Goldman, "La vie par procuration", m'obsède comme un mantra.
Je me dis parfois que je pourrais finir vieille (?) seule, protégée, entourée de tous mes animaux totems : les lucioles, les chats, les pigeons. Les chats essaieraient probablement de bouffer les pigeons qui chieraient partout sur les cadavres de lucioles ne pouvant pas vivre enfermées dans une maison, et ça serait un beau bordel dans lequel je pourrais progressivement régresser, jusqu'à me pelotonner en position foetale dans le cadavre de l'une ou l'autre bestiole. Genre vieil indien appelé "Grand Ours", et habillé d'une peau d'ours. Mais là ça serait de la fourrure de chat galeux ("Grande Chatte" du coup ? Je suis pas sûre ...) et de la plume grise parfumée au mazout. Eventuellement des ET finiraient par me téléporter dans un vaisseau pour un examen proctologique, mais je dévie du sujet.
Parfois, je me demande vraiment pourquoi je continue de me mettre des crèmes et des soins qui font la peau douce ...
lundi 23 janvier 2012
lundi 2 janvier 2012
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