Sister Of Night
L’Une portait en son nom le Sauveur.
Son visage opalescent, ses yeux de carbone, son opulente chevelure de nuit, ses courbes affirmées et douces faisaient l’envie de tous. Sa beauté fine et racée, sa voix grave et légèrement voilée, et son regard à la fois innocent et défiant lui conféraient le plus secret mystère. Mais de tout cela, et de tout ce qu’elle était ou n’était pas, elle s’en fichait : « ça n’a pas d’importance » aimait-elle répéter.
Et l’Autre le secret.
Transparente aux yeux des gens à force d’être blanche et de s’habiller d’ombre. Le regard acéré comme rempart à sa fierté, il semblait qu’elle portait dans ses mots le poids des tourments qu’elle n’avait jamais connus. De toujours, elle avait l’impression que quelque chose dans son esprit était vicié, divisé, écartelé.
Et leurs noms qui se traçaient d’abord par un croissant, rimaient.
Celle de la Croix reçue un jour en cadeau un miroir encadré d’ébène, sur lequel s’étaient posés quelques pétales de rose séchés, et tâché d’éclats de cire noire. Elle le posa près de son lit et s’y regarda se regardant, quelques instants. Puis son visage disparut, et elle vit à la place un grand portail à la peinture écaillée, en haut d’escaliers, devant lequel tournoyaient calmement quelques pétales de roses noircis et fanés. Avançant sa main pour toucher l’étrange reflet, il lui sembla qu’elle tombait, et trouva sous sa main douce la froideur de la pierre, et, face à elle, un cimetière.
Elle se releva pour constater que sa tenue avait changée. Elle était désormais vêtue d’une sombre robe dont le corset de moire oppressait la blancheur de ses courbes affolantes. Ses cheveux s’emmêlaient à la chaîne précieuse d’un médaillon ouvragé, surmonté d’une pierre noire. Quand elle l’ouvrit, ses yeux découvrirent le visage d’un jeune homme qu’elle ne connaissait pas. La photo, comme la robe, semblait dater du XIXème siècle.
Quand elle put enfin se détacher du mystérieux portrait, son regard fut attiré par une sombre silhouette qui se tenait au fond du cimetière, et qui semblait la fixer d’une froide patience. Malgré la peur et – pourquoi Diable ? – la tristesse qui oppressait son cœur, elle entreprit de rejoindre l’inconnu, ses pas se faisant plus pressant sur le gravier crissant à mesure qu’elle avançait.
Au bout de quelques pas, il ne fit aucun doute que le jeune homme qui l’attendait était celui du médaillon : les mêmes cheveux de jais, les mêmes yeux glacés, la même expression à la fois hautaine et désolée. Mais elle n’eut pas le temps de l’atteindre complètement qu’il se dirigea vers une allée obscure, l’invitant à le suivre.
A peine avaient-ils dépassé ce qui semblait âtre la dernière tombe de ce siècle et du dernier, que la nuit tomba aussi brusquement que le rideau sur la pièce achevée. Malgré la rassurante odeur des cyprès, le cœur oppressé de la jeune femme s’accéléra.
C’est au détour d’un escalier qu’elle la vit, celle qui l’attendait, la gardienne du secret. Rassérénée par quelle antique magie, elle s’avançait d’un pas assuré vers sa nouvelle compagne, sa sœur de la nuit. Elle voulue se retourner pour voir si le jeune homme était toujours là, mais il avait disparu. Elles n’étaient donc plus que deux, mariées par la lumière laiteuse de la lune, réunies près d’un catafalque aussi blanc qu’un sein, aussi blanc que leur peau, sur lequel on pouvait lire qu’y reposaient deux amants décédés le même jour d’hiver 1882.
« Elle lui manque, murmura celle du secret, c’est pour ça que je t’ai invitée ici, je l’ai entendu t’appeler à travers ma chair qui brûlait. J’ai du briser le sceau de ta volonté pour t’amener à te tuer. Ne me regarde pas ainsi, ma douce sœur de la nuit, car tu ignores tout d’un corps en flamme, c’est un enfer sans fin qui brûle au nom du désir. Son enfer à lui, et tu dois le rejoindre. Parce que tu es elle, et qu’elle est toi.
_ Et pourquoi pas toi ?
_ Parce que dans ce monde, je suis lui. C’est pour cela que je tremble en te voyant : touche-moi, tu verras. Ils pleurent maintenant, regarde-les.
Celle du secret désigna du doigt le jeune homme qui avait guidé celle-qui-doit-se-sacrifier-pour-les-hommes, il tenait la main d’une frêle jeune femme qui presque en tout point ressemblait à notre douce condamnée, et qui la regardait, suppliante et meurtrie.
_ Mais comment ? Demanda celle du Christ.
_ Si tu crois en l’amour, rien n’est impossible, répondit celle du secret.
Et elle découvrit ses deux canines acérées – oh ma sœur de la nuit, embrasse-moi – qu’elle plongea dans la gorge tendre de la suppliciée.
Jamais sa peau ne fut plus blanche, avant qu’elle ne boive le sang mêlé au sien et renaisse à la pâleur de la nuit.
« Je peux entendre ton âme hurler, laisse toi aller, laisse tes émotions monter ».
Et celle du Christ se releva. Plus radieuse et plus douce que jamais, emplie d’un sang nouveau, d’une âme nouvelle qui jamais ne la quitterait …
Ils avaient disparu.
Elle était là.
Oh ma sœur de la nuit, embrasse-moi.
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