dimanche 30 octobre 2011

This Must Be The pLACE

http://www.youtube.com/watch?v=vjncyiuwwXQ

Enlacée, emmêlée, peut-être un peu perdue dans les cordes d'un violoncelle, d'une harpe celte, martelée ma tête dans les marteaux d'un piano, je laissais mes pensées se perdre ... Cette enfant me manquait. Celle que j'étais, celle que j'avais connue aussi. Quelque chose de l'enfance ne cessait de m'échapper, inexorablement. Le goût de lire, le goût d'attendre, le goût de ne pas dormir, le goût de trop dormir. Le goût d'inventer des histoires et de me les raconter. Mes cheveux à moi sont trop courts et me donnent une tête d'elfe perdue dans la ville. Il n'y a rien à tresser, rien à déméler, tout est lisse ... mais c'est comme ça, les petites filles se coupent les cheveux pour ne plus qu'on tire dessus. Souffler sur les bulles d'un bain moussant me manque tout autant, quelqu'un m'avait promis des milliers de petits baisers sucrés ... Mais quand on est petit les baisers bavent ou piquent, et qu'on est grands ils ont un goût amer. Surtout quand ils manquent. J'aimerais maquiller une peau lisse et veloutée, une peau qui n'a pas besoin d'être maquillée. J'aimerais tendre le miroir pour quelqu'un qui apprécie encore de vieillir et attend son anniversaire avec l'excitation propre à son âge. Et quelqu'un qui envie le mien. J'ai envie de retrouver les belles images, les jouets, la pâte à modeler, les paillettes à la fraise et le goût de la poussière sur les pierres, les feutres à l'eau ... Les premières notes de musique qui tournent autour de la tête tandis que l'on s'endort.

dimanche 16 octobre 2011

Juste après vétérinaire dans l'espace

Petit hommage clin d'oeil à www.jaddo.fr

Moi, j'aime les patients propres.
Les patients qui ont rendez-vous avec moi parce qu'ils ont demandé à avoir un rendez-vous avec moi.
Les patients qui ont besoin de parler. Ou juste envie. Ou qui ne savent pas comment dire à leur mari/fille-professeur-de-russe/patron qu'ils n'en peuvent plus, et qui se demandent si je ne connaîtrais pas un "truc" pour amener la chose en douceur : "parce que moi vous comprenez, en général je dis rien, mais bon là ...", ou : "moi quand je parle, je suis brute de décoffrage, du coup ça se passe toujours mal après". Ma pauv' dame, si vous saviez à qui vous parlez. Enfin bref.
J'aime les patients qui arrivent propres du matin, qui sentent la douche et la petite barquette de confiture de fraise. Ceux qui commencent en disant : "j'espère que je ne vais pas vous prendre trop de temps, mais on m'a dit tellement de bien de vous !", ceux qui racontent tranquillement leur petite vie en n'oubliant pas de rendre les anecdotes difficiles un peu drôles, pour que l'on puisse s'échanger un regard complice. Ceux qui rient à mes blagues. Ceux qui pleurent, qui me demandent "s'ils peuvent" en lorgnant ma boite de mouchoirs, en chouinant : "rah vous alors, je m'étais jurée de pas pleurer !" (quel autre métier plus tordu que le mien vous rend fier de faire chialer les autres ? Hors-mis dentiste neo-nazi ?). Ceux qui m'écoutent religieusement et à qui j'essaie de ne pas montrer toute la gloire qui m'auréole quand ils me disent : "vous avez plus ouvert la bouche en 10mns que mon aut'psy en 10 ans, et pour dire nettement moins de conneries !". Ceux qui sont soulagés de me retrouver une semaine sur l'autre, et qui me remercient bien chaleureusement de leur avoir consacré une heure et 3mns de mon précieux temps, jetant un regard presque envieux à la personne attendant fébrilement son tour d'interrogatoire dans le couloir. J'aime les patients en bonne santé, ceux qui sont là juste pour ajuster le petit traitement, mais qui n'ont pas vraiment de problèmes à part ça. Ceux qui répondent à des questions aussi profondes et essentielles que : "pouvez-vous me donner la date complète d'aujourd'hui ?" avec un gentil sourire et un petit commentaire agréable sur le doux son de ma voix. J'aime les patients propres, avec qui j'ai plus l'impression de converser en attendant le bus en ayant l'impression de les faire gagner au loto que de travailler pour gagner mon pain et mon pot de nutella à la fin du mois.
Mais ces patients-là c'est comme le réveil en sursaut à 7h du matin un dimanche quand on se rend compte qu'on est effectivement dimanche. C'est rare, c'est inespéré, parce que 99 fois sur 100, on est bien lundi, et on a bien l'obligation sociale, professionnelle, administrative et surmoïque de se lever pour affronter le froid, la faim, cette lancinante envie de mourir qui ne décolle que vers 17h, et encore. En vrai, ils ont encore des croutes dans le coin des yeux, un t-shirt promotionnel Carrefour, ils sentent l'haleine nocturne mêlée de cigarette-du-matin, ils avaient oublié qu'ils devaient venir, ils avaient pas demandé à être là, et que c'est l'infirmière/le docteur qui a insisté pour qu'ils viennent me voir mais que sinon il voit vraiment pas à quoi ça sert. Mais bon, ça occupe au moins. En vrai M.Tercian m'appelle "docteur", je lui dis que je ne suis pas docteur, il arbore sur son visage l'expression du mec à qui l'on a fait croire qu'il allait manger des truffes eh bien non, c'est du bollet sous-vide trouvé au 8 à 8 passquiavaitpuqueça. Il me dit : "je vous appelle comment alors ?" sur le même ton qu'il emploierait pour me faire remarquer que si je ne suis pas docteur, alors je n'ai rien à foutre ici, que c'est quand même bien la preuve que la psy, c'est pour les fous. Le vrai patient parle, mais seulement si je lui pose des questions. Quand je lui réponds il hausse des sourcils mornes ou me demande de parler plus fort, parce qu'il est un peu sourd. Le vrai patient il n'a pas besoin de moi, sauf 5mns avant la fin du rendez-vous, où étrangement les vannes s'ouvrent, où il s'apprête à dire ce qu'il n'a jamais pu confier à aucun médecin, seulement "c'est l'heure là non ? Vous devez avoir quelqu'un ?". Parfois il n'a vraiment pas besoin de moi et se casse au bout de 20mns, dont 5 d'un silence gênant, me laissant comme une conne dans mon bureau bleu à devoir justifier 40mns d'inactivité et 5 ans d'études, en tapant cette redoutable transmission : "mauvais contact [comme pour une bagnole, parfaitement], apathique, discours OH type et dépressogène ++ [pas +, pas +++, ++, c'est important], probable déni de la dépression [sinon il m'aurait parlé hein, parce que je suis gentille comme une stagiaire de M1 moi !], peu d'éléments biographiques. Souhaiterait sortir pour aller nourrir son chien resté dans l'appartement. Recadré. N'entend pas [identification projective type]". C'est dans ces moments-là, c'est-à-dire 90% du temps, où je me dis que mon boulot ne sert à rien, que j'aurais du prendre ces putains de cours de maths à domicile pour faire vétérinaire et plonger mes mains dans des utérus de caniches, que j'aurais soulagé des plein de mamies-à-chiens et que j'aurais pu rentrer chez moi, les mains meurtries mais l'âme pleine de la satisfaction du devoir accompli.
Et c'est bien manucurée que je regarderai demain ma feuille de rendez-vous fébrilement remplie de noms de patients qui auront entendu beaucoup de bien de moi.
Pour deux d'entre eux, du moins.

mercredi 5 octobre 2011

Heureux qui comme Ulysse

Nous voici réfugiés dans les confins de l'automne, attendant sagement les cadeaux du monde. Comment la vie peut-elle couler lentement, au rythme des saisons ? Comment réaliser qu'elle devient simple, qu'Amphytrion et les songes d'une nuit d'été ne sont que des fables destinées à inculquer la peur aux personnes âgées ? Iago se cache, Scapin danse au loin, et nous voilà seuls au monde, allégorie d'un désir dans le théâtre d'une plage, d'une forêt, d'une route sans fin, d'un lit tiède parfumé à la nuit, d'un repas aux bougies ... Cela ne durera sans doute pas. La fin est si effrayante que j'aimerais moi, l'écrire, la jouer, l'imposer, et je déchire tout comme un auteur mécontent de sa pièce à succès. Je parade, je m'effondre, je joue l'étoile blessée, incomprise, je mime si bien la bêtise que mon public applaudit. Seul, dans la foule, mon prince noir ironise, drapé d'une cape de moire il sait que je le maudis ... c'est de l'âme la nuit. Le jour, nous volons, nous marchons, nous parlons, nous faisons mille choses pour que mille choses encore surviennent. Je voudrais à présent abriter entier l'univers dans mon ventre, comme une pouponnière d'étoiles prêtes à éclater. La vie semble si souvent étroite à qui rêve la journée, que l'on voudrait la nuit connaître les temples et les cités, les cimetières et les plaines, retourner à ces cascades et à ces mondes enchantés, peut-être qu'en les contant, ils deviendraient plus vrais ...

mardi 4 octobre 2011

L'Anamorphose Cachée d'une Vanité

Elle est allongée seule dans une chambre où ne filtre par les volets qu'un peu de ce soleil écrasant qui insiste depuis des semaines.
Elle rêve à l'hiver qu'il doit faire dans tant d'autres pays du monde. Des pays qu'elle a visité, exploré sans fatigue, ne se reposant le soir que dans des bars grouillant d'humanité, partageant avec son frère une bière, une cigarette, et le sentiment délicieux que tout autour de soi devient mou, irréel, sans intérêt et donc possible.
Il rentre sans frapper et sans bruit. Il parvient pourtant à froisser son silence, son cocon douillet. Il murmure pour lui-même qu'Il ne retrouve pas sa montre, qu'Il a du la laisser là, hier soir ... Il la trouve sur la table de nuit. Il soupire d'être si fatigué, Il fronce un peu les sourcils pour appuyer un peu plus ce sentiment d'écrasement. Enfin Il la voit. Elle a écarté les jambes et les bras, renversé sa tête en travers du lit. Elle ne porte qu'une robe qui semble taillée dans quelque chose qu'on aurait attrapé au vol, par la fenêtre. Un bout de parachute. Sa peau toute entière semble absorber la lumière de la pièce, et sa tête a l'air d'un poisson étouffant pris dans les mailles d'un filet de cheveux noirs et trop longs. Elle se dit qu'elle doit avoir l'air magnifique, désirable, comme un Christ de film pornographique.
Il la trouve théâtrale, grotesque. Il ne sait quoi lui dire mais n'ose quitter la pièce sans un mot. Peut-être a-t-elle envie de silence ? Peut-être ne l'a-t-elle même pas entendu ? Il la trouve si étrange, dans ses postures baroques, elle ressemble aux femmes des peintures de Portinari : disproportionnée, inssaisissables, avec quelque chose d'obscène, dont on n'arrive pas à détourner le regard : "folle", chuchote-t-Il. Elle a entendu. Elle ne bouge pas, elle attend de voir ce que ce "folle" va signifier dans sa bouche. Elle en attend beaucoup ... Il ne se passe rien. Il a quitté la pièce. Il a fermé la porte délicatement dans un cliquetis de métal à peine audible. Il semble même qu'Il descende les escaliers sur la pointe des pieds pour ne pas la réveiller. Sa mâchoire se serre, elle sent qu'elle pourrait tomber : elle pourrait se lever lentement, ouvrir les volets, prendre son petit lecteur de musique et poser dans ses oreilles un air doux de folk américain, et sauter. Et tout serait terminé. Elle pourrait se lever lentement, sortir sa valise déglinguée de dessous le lit, la remplir de choses futiles et de tout l'argent qu'elle pourrait trouver, et partir sans un regard pour lui, pour cette maison, pour ce quartier, pour ce pays. Elle pourrait se lever comme un diable hors de sa boite, dévaler les escaliers nus-pieds, le chercher comme une Erynie prête à lui détruire les oreilles et l'esprit, l'obliger à la regarder dans sa fureur, l'obliger à la saisir, à la secouer, à planter dans son visage son regard d'homme, sa langue d'homme, l'obliger à la dépecer par petits bouts pour faire sortir son âme, la faire s'envoler un peu plus près de cet absolu de complétude perdu il y a si longtemps. Il pourrait lui faire avaler son alliance, qu'elle la sente passer dans tous les recoins de ses tripes, qu'elle soit obligée de l'expulser pour en ressentir de nouveau la douleur et le bonheur retrouvé, après un long, long voyager fait de vides et de riens ... Elle sourit. Bien sûr qu'elle ne pourrait jamais faire ça.
Si seulement Il pouvait simplement revenir, s'asseoir près d'elle, passer sa main dans ses cheveux trop secs et lui proposer dans un sourire doux de l'emmener danser. D'aller au restaurant. De se baigner dans l'océan. De dormir près d'elle. Si elle pouvait encore être la source de quelque chose ... Mais dans un coin de la chambre elle apperçoit sa besace difforme qu'elle tient sous son bras quand elle part travailler, sa besace en gros cuir marron défraîchi. Elle pense que de loin, cette chose ressemble à un monstrueux étron, et elle éclate de rire, de sa bêtise, et de son propre rire aussi. Elle roule sur elle-même et penche un peu plus la tête de côté. Ses yeux se figent.
La besace a maintenant l'air d'une odieuse tête de bébé.
"Un bébé !" songe-t-elle si fort qu'une autre voix semble lui avoir parlé.
Alors, seulement, elle se lève lentement ...