vendredi 30 décembre 2011

Au-revoir mon ange

Regarde-la bon sang, elle était si jeune, si belle ... Est-ce que c'était le genre de fille à se suicider ?
Franchement, je n'y crois pas.
Elle faisait des tas de choses ... ce n'était pas le genre de gamine à se morfondre au fond de son lit à moindre contrariété. D'ailleurs, qu'est-ce qui aurait pu la contrarier ? Tous les garçons étaient fous d'elle, et comme elle était gentille avec eux sans trop en faire, ils la traitaient avec respect. Elle était gâtée par tous, chaque semaine un bouquet différent dans sa chambre, toujours des bonbons ou des chocolats à proposer de son sourire framboise.
Elle était douce, elle était serviable. Ses parents l'adoraient ... combien de parents reprochent à leur enfant de trop travailler, hein, dis-moi ? Elle n'arrêtait jamais, elle disait que c'était le seul moyen de rattraper ses lacunes en calcul pour réussir médecine, elle disait qu'il lui était impossible d'envisager autre chose ... elle se voyait en Afrique, au Soudan, elle disait qu'elle voulait vacciner autant de personnes qu'il était possible d'en voir en une journée. Mais chaque personne qui la voyait ne pouvait s'empêcher de l'imaginer actrice ou mannequin ... c'est pas du machisme tu sais, mais franchement, tu as vu les photos que Melissa faisait d'elle ? Sa propre soeur les collait sur le mur de sa chambre au milieu des posters de Marylin, quelle soeur fait ça ?
Je l'ai déjà vu triste quelques fois, mais elle avait toujours une bonne raison. Une vraie raison je veux dire, quelque chose dont on peut parler. Mais quand elle était triste, elle écrivait dans son journal, elle allait jouer du piano dans le salon, elle m'appelait et on allait au parc, elle enfonçait un peu son coude dans mes flancs et d'un clin d'oeil me demandait d'aller acheter une bouteille de vin et un tire-bouchon. Je ramenais toujours la bouteille la plus chère que mes moyens du jour pouvait nous offrir, du Merlot le plus souvent. Une fois même elle a glissé un billet dans ma main, elle m'a dit : "vas-y, si tu peux, essaie de nous ramener une bouteille de champagne ! On le mérite après tout !". On ne méritait rien du tout en réalité, c'était une journée comme les autres, parfois d'ailleurs il faisait bien trop froid pour rester assis dehors. Quand on buvait près du lac et qu'on commençait à rire, les gens nous regardaient d'un oeil mauvais.
Je suis sûr qu'il pensait que c'était une prostituée. Parce que dans ces moments-là elle riait très fort et ses joues brûlaient, on aurait dit deux pommes d'amour enfoncées dans un visage fait en neige. Ses lèvres brillaient de rouge à lèvres et de salive, ses yeux brillaient, tout ... elle était élégante et très distinguée dès le réveil et qu'importe le jour qu'il était, mais lorsqu'elle avait bu, elle s'asseyait comme un homme, ses jambes de sauterelle écartées, et je devais parfois lui couvrir les genoux avec ma veste, alors elle riait encore plus fort.
L'alcool lui faisait dire tout ce qui lui passait par la tête. Souvent, c'était bien plus le flot éthylique de ses paroles que la boisson qui me rendait ivre. Jamais, jamais elle ne parlait de la mort. Ni la sienne, ni celle des autres. Elle ne parlait même pas de Dieu, je n'ai jamais su si elle croyait en Lui d'ailleurs ! Elle disait qu'elle n'était pas sûre parfois d'avoir la patience d'attendre d'être diplômée pour courir le monde.
Un jour elle m'a parlé d'un garçon. Ce garçon lui aurait dit de ne pas "se prendre la tête" avec les études, que lui gagnerait beaucoup d'argent, et qu'avec ils partiraient ensemble découvrir le monde. Qu'il allait travailler dans une banque où son père avait un bon poste. Que même, si elle s'ennuyait, elle pourrait faire secrétaire.
J'ai rigolé, tu penses. Comme un fou. Je n'avais même pas bu. Elle m'a regardé avec son sourire framboise, mais elle n'a pas ri. J'ai compris. Elle a cherché à me rassurer, elle m'a assuré qu'elle se contentait d'y penser. Mais ses yeux regardaient le vague, elle touchait à peine la bouteille. J'étais horrifié ... elle si belle, si jeune, si brillante ... elle, mon actrice, mon médecin du monde, mon prodige, comment l'imaginer en tailleur cintré rose et noir au milieu d'un salon de banquier en marbre blanc ?
J'ai protesté tu penses, avec fougue même, mais plus j'argumentais, et plus elle semblait convaincue que son destin était dans le salon de marbre. Comme si au lieu de la retenir, je la poussais, tout en essayant de la retenir ... tu comprends ? Ca m'a rendu fou.

Alors je l'ai poussé, puisque c'est ce qu'elle voulait.